Je suis seul maintenant et tout laisse à penser qu'il en ira ainsi jusqu'à la fin. Laquelle ne saurait tarder, je le sens. Mais je ne m'en plains pas. D'ailleurs, quel motif aurais-je de me plaindre ? Pour peu enviable qu'il m'apparaisse, mon sort est-il des moins partagés ? Je dois bien l'avouer, les comparaisons dans ce domaine ont toujours tourné à ma confusion. Et j'en connais quelques-uns - et jusque chez les humains - qui s'accommoderaient fort de ma situation.
L'endroit que j'occupe suffit à mes besoins comme à la satisfaction de mes désirs. Je ne saurais dire si la longueur du local l'emporte sur la largeur, ou vice versa. Mais il me plaît d'imaginer que la largeur ne le cède en rien à la longueur. Je ne sais pourquoi, l'idée d'exercer ma liberté à l'intérieur d'un carré m'est d'un précieux réconfort.
On m'a certifié que l'Australie est un des pôles majeurs du crétinisme humain. Le Premier ministre kangourou est aussi le champion des buveurs de bière de son pays. Il figure à ce titre dans le livre des records. Par ailleurs, il pleure fréquemment à la télévision, ce qui n'a rien d'étonnant. ("Pleure, tu pisseras moins", me disait déjà ma mère.) Lors d'un débat avec son rival conservateur, peut-être marqué par sa victoire, il s'est mis à sangloter dans le poste. Jusque-là, la cote des deux guignols était égale. Du coup, celle du conservateur s'est effondrée à vingt pour cent, tandis que celle du champion s'envolait à soixante-dix pour cent. L'Australie est un pays jeune. En France, sa carrière, du moins politique, était à jamais brisée.
A
bas la critique est un recueil de lettres-pamphlets à Bernard Pivot,
Bertrand Poirot-Delpech, Bernard Alliot, François Nourrissier, André
Clavel, Jean Thibaudeau, Angelo Rinaldi, Jean-Louis Ezine ...
Octobre 1978
Ecoutez, Bernard Pivot, il y a un mois, je vous ai envoyé un livre, ça s'appelle Stratégie pour deux jambons, l'histoire d'un cochon qui raconte sa vie à huit jours de l'abattage, avec gros travail sur le langage, aperçu philosophico-politique par-derrière et rigolade tout du long.
Aussi, quand j'ai appris que vous faisiez une émission sur l'amour, j'ai pensé que vous réclameriez mon concours, à cause des performances du verrat, dont je parle abondamment dans mon livre. (Saviez-vous, et la France sait-elle, que l'éjaculat d'un verrat atteint le quart de litre ? Je vous jure que je ne me vante pas, c'est dans tous les manuels.) Au lieu de quoi, nous avons eu droit à de la périphrase, des minauderies, des sourires à peine grivois, quelques bouches en cul de poule tout au plus. Mais pour ce qui est de dire la vérité aux Français, je veux dire le nombre et la quantité, rien, absolument rien. Si c'est ça l'amour, reconnaissez qu'il y a de quoi s'en retourner la queue entre les jambes.
Pourtant, je ne vous en veux pas. La preuve, je vous envoie mon meilleur jambonneau afin que le plaisir de la dégustation soutienne celui de la lecture. Si vous m'invitez, je vous promets de venir avec un jambon entier. Reste plus qu'à trouver le sujet. Ma foi, dans le cochon tout est bon, il suffit de se creuser un peu. Tenez, vous pourriez faire une émission littéraire sur les problèmes de l'élevage. Ou sur l'avenir de la charcuterie. Voyez, ce n'est pas le choix qui manque. Evidemment, il faut lire le livre. Si vous avez un peu d'humour, ça m'étonnerait qu'il vous déplaise tout à fait. En attendant, bon appétit.
Bien cordialement (pensez au jambon)
Le racisme de mes hôtes suinte de partout. L'organisateur n'a pas la trentaine. Blanc-bec atrabilaire, d'une ignorance crasse et satisfaite sur les sujets. Je l'appellerai "Monsieur", comme ses boys. Il y aura donc Monsieur, les parents de Monsieur, la femme de Monsieur - une oie blanche qui fait dans la publicité locale - et les deux merdeux de Madame-monsieur, encore en bas âge, mais potentiellement aussi racistes que leurs géniteurs.
J'ignore pourquoi Monsieur m'a invité. Son association ne produit habituellement que du café-théâtre racoleur. Il m'a vu jouer en Avignon devant des salles pleines. C'est là que la grâce l'a frappé. De mon côté, j'étais heureux de jouer pour les Noirs. En réalité, je me produirai devant les adhérents du Lion's Club et autres Rotary's Club, autrement dit le gratin de la charogne néo-colonialiste. Le prix des places est fixé à cent-trente francs, soit le sixième du salaire mensuel d'un boy. J'espère qu'ils ne pousseront pas l'amour du théâtre occidental jusqu'à accourir en famille.